23/11/2020
Entretien avec Sasha Andrés / A Shape
La gueule béante d’un haut fourneau c’est la pochette du nouvel album de A Shape « Iron Pourpre » qui nous met tout de suite dans l’ambiance d’un creuset alchimique noise rock en fusion d’où s’échappe la voix de Sasha Andrés bien connue de nos services comme chanteuse charismatique du groupe Héliogabale depuis ? Depuis ?
Je ravive mes vieux neurones… Je pense avoir assisté à leur premier concert en 1992, salle Dragonfly dans le 12eme à Paris, avec Sister Iodine à la même affiche si je ne m’abuse…
J’y avais été emmené depuis ma lointaine banlieue par mon ami et voisin Jean-Noël D. (Guitariste du groupe pop Meek) et probablement informé du concert en écoutant l’émission Helter Skelter sur Aligre FM qu’animait alors Vivian Vog le bassiste d’Héliogabale.
Ce concert avait été pour moi une révélation !
1_Sasha, tu te souviens aussi de ce concert ? Etait-ce bien le premier d’Héliogabale ?
Si je me souviens de ce concert? ... On n’oublie jamais les premières fois;) et celle là cʼétait celle dʼHeliogabale. Lasson, chez Lucrèce, avec les Sister Iodine oui... Jʼai gardé de ce premier live des tas de flashs, des sensations, une urgence quʼon allait déglinguer ensemble, avec Vivian, Philippe et Klauz, sans se concerter... oui, beaucoup de tension et dʼenvie, et on sʼétait jetés dedans sans se demander comment... Intense.
2_Bon, c’était ma séquence ancien combattant du rock mais passons à A Shape, peux-tu nous présenter le groupe ? J’étais complément passé à côté de votre premier album…
Alors A Shape, je les ai rencontrés par leur son, ils mʼont envoyé un jour en 2015 quelques morceaux enregistrés maison et mʼont demandé si je voulais bien les écouter et si il y en avait un qui me tentait pour poser une voix dessus.
Je leur ai répondu que avec Heliogabale, même si on ne jouait presque plus, cʼétait pas fini, que même si jʼavais fait pas mal de featuring avec des potes sur plein de morceaux en dehors dʼHeliogabale, jʼavais pas envie de jouer dans deux groupes en parallèle, et aussi que jʼhabitais plus sur Paris mais à 700 bornes etc...
Au final jʼai ouvert les fichiers... En me disant, pourquoi pas un feat sur un morceau si jamais... Le premier cʼétait celui qui est devenu Furtive Spiral... Jʼai accroché tout de suite en fait, donc jʼai posé une voix direct sur lui, puis jʼai écouté les autres compos, et elles mʼont toutes donné envie de me mêler à leurs sons.
Envoi de fichiers vers eux donc, leur réponse, ça semblait être la bonne alchimie, et ça a commencé́ comme ça, sans se connaître en vrai...
Eric Pasquiet à la guitare avait fondé le groupe avec Mat Le Gouge à la basse, puis Tanguy Delaire les avait rejoints à la batterie.
Tanguy a enregistré avec nous le premier album, Inlands, et ensuite il a arrêté́, et cʼest Anthony Serina qui a repris les baguettes pour Iron Pourpre.
3_Comment avez-vous abordé ce deuxième album ? On se prend une grosse claque sonore directe qui ne fait que monter et se mouvoir, les morceaux ont été composés séparément où l’album est venu d’un bloc ? Comment s’est passé l’enregistrement ?
On fonctionne toujours à partir dʼimpros en répètes. Cʼest souvent eux trois qui commencent puisquʼils se voient régulièrement et que je ne les rejoins que de temps en temps.
Ensuite ils décomposent, triturent, enlèvent, ajoutent, jʼécoute, jʼécris, je les rejoins et quand ça nous plait, on essaie de cristalliser un peu tout ce quʼon voudrait pouvoir refaire, même si on est plusieurs dans ce groupe à aimer le travail dʼimpro, ils ont choisi lʼangle qui permet de pouvoir rejouer des morceaux en live .
Pour Iron Pourpre, ils ont emmené des compos assez fraîches quʼon nʼavait, pour certaines, jamais joué live, et moi jʼavais pour chaque morceau au moins deux ou trois textes que je mettais ensemble au moment dʼenregistrer.
Eric a eu un problème de santé le deuxième jour de lʼenregistrement, il est parti avec les pompiers et nous, à trois, on sʼest calés sur ses guitares témoins quʼil avait enregistrées le premier jour. On a été super rapides, de toute façon yʼavait pas le choix, lʼautoprod ça doit pas dépasser quelques jours ;)
Eric a refait ses grattes en sortant de lʼhosto, et ensuite le mix et le mastering chez Nicolas Dick à Marseille.
4_Philippe Thiefaine d’Héliogabale est invité à la guitare sur un titre mais il y a surtout Quentin Rollet qui joue du sax furieux sur la deuxième partie de l’album ça contribue vraiment à l’aspect incandescent des morceaux, il est intervenu à quel moment de la composition ? Au passage ça me fait penser forcement à l’album Funhouse des Stooges ce sax !
Oui! Quentin est venu, je lui avais envoyé 2-3 morceaux et il avait dit ok, au final il joue sur la moitié de lʼalbum! ;)) Et cʼétait génial parce quʼévidemment il a compris tout de suite quʼil était libre, comme nous aussi on lʼétait, et quʼil pouvait faire ce quʼil voulait, et quʼaprès on verrait bien si on gardait ou pas. On a tout gardé je crois bien...
Et aussi son monotron qui ajoute un truc super intéressant... En plus vivement les live! On se connait depuis pas mal dʼannées et cʼest toujours un bonheur de le retrouver. Pour Philippe, cʼest Eric qui a eu envie de lui envoyer des morceaux et Philippe ( Thiphaine) en a choisi un et il a croisé ses cordes avec nous, ça aussi jʼadore...
Après on avait cette envie dʼêtre très ouverts, et au départ il devait y avoir dʼautres guests mais ça sʼest pas fait... Au final, cʼest cool tel que cʼest là.
5_Ça fait presque trente ans depuis les débuts d’Héliogabale ta voix a forcément évolué, Moi je trouve que tu as ouvert ta palette sonore à plein de nuances que tu n’abordais pas au début. Comment le ressens-tu ?
Oui, cʼest sûr, jʼai plus la même voix quʼà 17 ans, jʼai eu pas mal de vies en une vie et la musique, les musiques ont été un élément tellement énorme pour moi, ça mʼa sauvé...
Et jʼai toujours envie de venir jouer avec les autres, comme quand on est gosses, quand leur son me touche... Jouer, chanter, cʼest un langage tellement génial, je connais rien de mieux, on est directement connectés, présents intensément, et en même temps ensemble complètement ailleurs...
Cʼest vrai que quand on écoute les premières compos dʼHélio, cʼest surtout le cri qui mʼarrivait, ça allait avec ma vie. Mais avant Helio jʼavais joué avec dʼautres musiciens et là ma voix était plus douce, je chantais vraiment... Pis les épreuves, et plus possible de faire sortir autre chose que le cri... Et ensuite jʼai eu la chance de rencontrer plein dʼautres musiques, et de pouvoir parfois jouer, chanter, parler autrement... Et ça mʼa ouverte, ça mʼa réparée...
Je suis toujours partante pour plonger dans un monde sonore...
Jʼadore aller en territoires inconnus.
Cʼest aussi pourquoi quand Nico Laureau mʼa envoyé des compos en me disant tʼécoutes, tu mʼenvoies tes pistes, voix ou ce que tu veux, et on touche à rien, si ça nous plait tel quel on garde, si on pense quʼil faut reprendre ci ou ça, on laisse tomber. Cʼétait complètement mon envie de faire les choses comme ça aussi.
On a fait quelques chansons sous le nom de Specio.
Aussi avec le projet sur Twin Peaks avec Tadash, Clément Malherbe et Cyrille Poumerie. Ou avec Kai Reznik avec lequel jʼai adoré partir sur des pistes neuves, où jʼécrivais des histoires avec des dialogues que je chantais à plusieurs voix ensuite... merveilleuse schizophrénie;)...
En tout cas oui, la voix cʼest mon instrument et mon torrent, et il change tout le temps...
6_Dans le dernier album d’Héliogable Ecce Homo (2017) il y a des textes en français très forts avec beaucoup d’impact, tu n’étais pas tenté pour A Shape ?
Oui, le français sur Ecce Homo mʼa plu... Dʼailleurs jʼaime cette langue et je lʼutiliserai plus, je suis en train de lʼexaminer, de la tordre pour quʼelle me vienne plus près, quʼelle arrête de me sembler distante... Je lʼaime plus à lʼécrit quʼà lʼoral pour dire vrai, et ce depuis toute petite... à lʼoral je préférais les accents de ceux de ma famille qui parlaient une autre langue... Le français, jʼy viens sur le tard... mais jʼy viens...;
7_J’ai un peu perdu le fil de la scène noise rock (surtout française), il y des groupes actuels ou des grands anciens toujours actifs que tu me conseillerais de suivre ?
Dans les titres que je tʼai envoyés (*), il y a des choses que jʼaime écouter en ce moment, après jʼécoute toujours beaucoup de jazz, de classique, de rap old school, beaucoup de silence aussi, les bruits de la nature...et sy ;)
Dans les trucs que tu connaitrais peut-être pas, il y aurait ça: jʼai découvert un groupe en concert dans un squatt à Montreuil, organisé par lʼirremplaçable Eric Cooney dʼen veux tu en vʼlà, ils sʼappellent Chamanes Chômeurs et leur concert était hyper bien.
Il y a Alexandre LF qui me fait découvrir plein de sons car cʼest un vrai passeur, et lui, son ami Simon et leur batteur Ludo, jouent dans une formation ultra bruitiste géniale, ils sʼappellent Trans Frontal et il faut les voir en live ! Avis à ceux qui organisent des concerts! Enfin, dès quʼon pourra à nouveau embraser avec du son les scènes!! ...
8_En plus du chant est-ce que tu joues des instruments ? Est-ce que tu as des projets en solo en mode « home studio » ? D’autres collaborations ?
oui, je fais des trucs chez moi, où je joue du synthé ou du piano, et de la gratte ou de la basse à ma façon, jʼadore toucher tous les instruments, et en faire des trucs différents, les percus aussi... Mais mon plus grand bonheur reste de jouer avec dʼautres...
9_La période n’est pas favorable mais on pourra espérer voir A Shape en concert prochainement ?
là, jʼen sais rien... cʼest la misère de sortir un album diy et dʼavoir toutes nos dates annulées... mais oui, dès que le monde se relève, on sera là! Ou bien avant, en petit comité, dans un endroit secret... on verra...;
10_Une question générationnelle pour finir : tes enfants, ils écoutent quoi ?
Les miens sont bloqués sur les classiques (AC /DC, Nirvana, Led Zeppelin, Beatles, Stranglers, Metallica…) Et dans les concerts de rock « underground » je ne croise presque uniquement que la tranche d’âge 40 / 60 ans, alors, ils sont où les jeunes ?
Mes enfants ... ils ont 21 et 13 et ils nʼécoutent pas tout à fait les mêmes trucs... Le grand cʼest plus des musiques electro et rap, mais aussi bien les Beatles comme toi;) mais aussi des trucs instrumentaux assez amples, plus ambiants. (sur lesquels il danse). On se fait écouter pas mal de choses, et des fois cʼest lui qui me fait découvrir un morceau dʼAznavour!... ;)
Le petit, cʼest plus la bande de groupes belges, rap, aussi des français comme odc ou Saro, et aussi des trucs carrément de vieux comme Cure, Police, Ministry ...
Cʼest pas si vrai quʼil nʼy a pas de jeunes aux concerts noise underground... ça dépend plus de qui organise les concerts des fois que de lʼaffiche pour drainer un public ... Et jʼai déjà été surprise de jouer devant pas mal de très jeunes gens...
à la Station par exemple, le public est souvent super jeune, et cʼest cool quand ça se mélange, les âges.
Les gamins sont assez différents de comment on était nous à leur âge devant une scène pendant un concert, mais il y en a aussi qui nous ressemblent salement, et jʼaime bien quand ils sont sauvages...;)
Se procurer l’album de A Shape :
A Paris vous pouvez même le trouver au Baron Rouge et boire un coup avec Quentin Rollet.
Et chez votre disquaire préféré bien sûr aussi !
Entretien réalisé le 14 novembre 2020
(*)Cette semaine la programmation de la page SOP est confiée à Sasha Andrès :
Labradford
Amusers And Puzzlers
https://www.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_nz6aoUaigGb...
Demdike Stare
Kurws
https://soundcloud.com/kurws/tasiemiec-niejadek-96khz-24bit
Rien Virgule
Microburst
https://soundcloud.com/microburst/skeng-mash-up-feat-the-...
Sensational
https://soundcloud.com/sensational-1/02-strangely-shaped
19:13 Publié dans Entretiens | Commentaires (0)
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